ven 08/11/2019 - 11:21 Par Robert Leroux
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« La musique elle-même n’est pas le problème, c’est en fait ce que nous faisons le mieux: c’est notre produit principal. Pourtant, de nombreuses organisations pensent que si nous modifions le produit, cela contribuera à un meilleur résultat au final, mais ce ne sera pas le cas !  Le problème avec la musique classique est tout sauf la musique. En langage technologique, on pourrait dire que notre «UX», notre expérience utilisateur, est généralement nulle. »

Intérieur du Musikverein Wien
Photo par Jonathan Tieh sur Unsplash

Vous connaissez Aubrey Bergauer? Probablement pas. Surnommée « la Steve Jobs de la musique classique », elle a d’abord été connue pour son travail auprès l’Orchestre de la Californie où elle a obtenu des résultats spectaculaires en développement de public ainsi qu’en augmentation du nombre de donateurs et de revenus privés pour l’orchestre, un renversement radical par rapport à la situation qui prévalait avant son arrivée.

Se définissant comme une personne qui « travaille à changer le récit des orchestres symphoniques », elle  agit maintenant comme consultante auprès d’autres orchestres et maisons d’opéra qui souhaitent mieux développer leur public.

Selon elle, le problème des orchestres est en réalité assez simple:

« La musique elle-même n’est pas le problème, c’est en fait ce que nous faisons le mieux: c’est notre produit principal. Pourtant, de nombreuses organisations pensent que si nous modifions le produit, cela contribuera à un meilleur résultat au final, mais ce ne sera pas le cas !  Le problème avec la musique classique est tout sauf la musique. En langage technologique, on pourrait dire que notre «UX», notre expérience utilisateur, est généralement nulle. »

Dans un article récent publié sur le site Observer, elle nous propose son top 10 des idées que les orchestres qui souhaitent attirer les milléniaux devraient sérieusement considérer.

Je les reprend ici, avec ma traduction. Vous constaterez que certaines de ces idées ne s'appliquent pas uniquement aux grandes organisations que sont les orchestres symphoniques Elles interpellent également beaucoup d’organismes de plus petite dimension qui veulent rejoindre les nouvelles générations d’auditeurs.

1. La mixité des époques

Pourquoi ne pas juxtaposer des oeuvres contemporaines aux grands classiques usuels, quitte même à ajouter un oeuvre hybride (crossover) de temps à autre. « La plupart du temps, les séries de type « Mostly Mozart » n’ont guère de sens: modifiez la programmation. Trouvez quelque chose pour tout le monde à chaque représentation », nous conseille Bergauer.

2. Oubliez les politiques anti-téléphones.

Les orchestres sont notoirement impitoyables pour les membres de l’auditoire qui sortent leur téléphone et se mettent à filmer ou à prendre des photos. Il suffit cependant observer à quel point les téléphones sont utilisés lors de tout autres genres d’événements musicaux. Selon Bergauer, les amateurs de musique classique veulent tout autant faire partager avec Facetime Live et Instagram leur expérience que lors d’un concert de Jay-Z. «C’est du marketing gratuit - des millions d’impressions perdues sans raison valable», s’exclame-t-elle.

3. À boire!

Pourquoi ne pas permettre au public de siroter un petit verre pendant le concert? (Mais attention aux cocktails sur glaçons!)

4. Écrans géants

Pourquoi les salles de concert n’ont-elles pas recours écrans géants montrant toute l’action de près? Les fans aimeraient voir un visuel haute définition du violoniste pendant son grand solo.

5. Contextualisez l’expérience

Bergauer a constaté que de nombreuses personnes qui assistent à un concert pour la première fois ne peuvent souvent pas nommer tous les instruments d’un orchestre. Ils ne connaissent pas non plus le vocabulaire italien utilisé en musique. Permettez au chef d'orchestre de partager avec le public ce qu'il est sur le point d'entendre, ce qu'il faut rechercher et écouter, et peut-être un peu de contexte historique.

6. Encouragez les applaudissements et la participation du public.

Selon les études de Bergauer, pas moins de 90% des participants à un concert de musique classique ne reviennent pas, et elle croit que beaucoup trouvent l'expérience rebutante. Les règles tacites concernant le moment approprié pour applaudir constituent un repoussoir majeur pour le public plus jeune. Les orchestres doivent trouver des moyens de faire participer le public au cours de la représentation et de le faire se sentir à l'aise et libre de s'exprimer.

7. Abordez l’échec de manière plus honnête

Bergauer éprouve le sentiment que beaucoup d'orchestres se mettent la tête dans le sable quand vient le moment de l'autocritique. «Je pense que le partage d'informations entre les leaders du secteur n'est pas vraiment honnête, car toute la culture du milieu repose d’abord sur la recherche de financement. Nous sommes formés, quel que soit le projet, à toujours le définir comme un succès. C’est inutile parce que nous savons que tout n’est pas toujours un succès. En conséquence, en tant que milieu, nous entretenons des discussions très autocentrées. »

8. Développez des sites web adaptés aux appareils mobiles

Bergauer estime qu’il est incroyable qu’en 2019, il existe encore de nombreux orchestres qui ne disposent pas de version de leur site web optimisée pour mobiles, rebutant ainsi les jeunes générations.

9. La diversité ne doit pas se limiter à la scène

Bergauer constate que trop d'orchestres ne voient la diversité qu’à travers le prisme de ceux et celles qui sont sur la scéne, ou des compositeurs qu'ils choisissent de jouer. Il reste cependant encore beaucoup de travail à faire pour s'assurer que le public reflète le même niveau de diversité.

10. N’administrez pas de manière anecdotique

Trop d’orchestres s’inclinent devant les opinions ou critiques de membres particulièrement influents du conseil d’administration ou de clients qui menacent d’annuler leurs billets de saison s'ils n’apprécient pas certaines des expériences présentées. «Gérez avec des données, pas par ceux et celles qui ont la voix la plus forte», prévient Bergauer. «Trop souvent, les dirigeants d'orchestres professionnels sont bloqués par des membres influents du conseil d'administration. Les dirigeants doivent développer des conseils d'administration partageant la même attitude à l'égard de la prise de risque et de la gestion axée sur les données. »

Vous reconnaissez vous dans certaines de ces critiques ou suggestions?

Partagez donc ici vos expériences en matière de connexion avec les jeunes générations.

Commentaires

Ce sont tous des points intéressants et importants à considérer. Il est nécessaire d’être à l’affut des nouvelles tendances et de l’évolution technologique afin de rester en contact avec un public moderne et diversifié. Les méthodes suggérées ne s’appliquent peut-être pas à tous les types de productions par contre. Je pense qu’il faut prendre soin de bien trouver la ou les idées qui mettront votre production en valeur auprès du public d’aujourd’hui.

sam 28/03/2020 - 10:33

Article très intéressant et instructif. Je pense en effet que le milieu de l'orchestre classique est bien souvent trop enfermé dans les codes datant du siècle dernier. Que ce soit du point de vu de la diffusion ou de la prestation en elle-même. Arrêtons de mettre la musique d'orchestre classique sur un piédestal réservé à une élite intellectuelle et ouvrons ses horizons à toute les classes sociales. Ce serait déjà un grand pas.

sam 28/03/2020 - 18:24

Je rejoins mes camarades, c'est un article intéressant, et je ne connaissais pas Aubrey Bergauer.
Il me semble que cela n'apparaît pas dans le corps de l'article, mais se pose aussi, selon moi, la question de ce qu'il advient des musiciens sur scène.
Ces nouveaux aménagements peuvent poser problème aux musiciens (d'orchestre, chambristes, solistes) : le fait de pouvoir sortir son téléphone et filmer, de pouvoir consommer pendant le concert... Tout cela est susceptible de nuire à la concentration des interprètes. Selon moi, et en fonction des répertoires joués, cette forme d'agitation dans la salle est problématique (j'imagine en ce moment cette situation dans une salle où le chef d'orchestre voit aussi le public lorsqu'il dirige... un vrai défi pour la concentration !). J'ajoute que nous ne sommes pas formés à affronter cela au cours de nos études, centrées sur la performance instrumentale...
J'admire l'avance qu'ont les pays d'Amérique du Nord en médiation musicale, j'ai d'ailleurs découvert la médiation musicale avec les Young People's Concerts de Bernstein, mais je me demande quelle est la réelle portée de l'entreprise d'Aubrey Bergauer, et quelles peuvent en être les limites... En tous les cas, ma curiosité a bien été piquée !

mar 31/03/2020 - 13:03

J'ignore qu'elle peut être la portée de l'entreprise de Bergauer, elle-même ne s'appuyant pas sur un échantillon révélateur d'organismes musicaux pour soutenir ses propos. Cependant, elle est reconnue pour avoir fait faire un virage important à l'orchestre dont elle a été directrice générale, le California Symphony. Elle y a entre autre créé un processus novateur de conversion des acheteurs occasionnels en acheteurs réguliers, puis en abonnés, puis en bénévoles et en donateurs.
Tu pourras lire d'autres articles qu'ella rédigés sur le site de Medium https://medium.com/@AubreyBergauer

mar 31/03/2020 - 14:10

En réponse à par Arthur Prieur

Toute solution tentant d'attirer un nouveau publique est bien sur la bienvenue! Cependant, il faut garder en tête que les suggestions de Bergauer, vraisemblablement calquées sur les techniques de marketing modernes, n'ont pour seul objectif d’attirer un public et surtout des revenus. Les considérations artistiques n'ont ici que peux de valeur. La questions reste à savoir ce qui est à sacrifier et à prioriser pour assurer la survie des concerts de musique Classique.

mar 31/03/2020 - 15:44
Émile Cartier (non vérifié)

Il est vrai que le rôle de Bergauer en est un de marketing. Mais c'est précisément pour avoir le moins de compromis à faire sur le plan de la programmation artistique que son rôle est important. Beaucoup d'orchestres pensent que pour avoir du public, il faudrait toujours jouer Carmina Burana ou la 5e de Beethoven, ou encore faire des concerts "pop". Je pense que le but ici est de donner toutes les chances à un organisme de présenter ce qu'il fait de mieux et ce qu'il ambitionne de faire sur le plan artistique.

mar 31/03/2020 - 17:16

En réponse à par Émile Cartier (non vérifié)

Cet article est très bien conçu. Par contre, je pense qu'il ne faut pas essayer de voir les concerts de musique classique comme des concerts de Jay-Z pour reprendre l'exemple. Les gens vont dans tel ou tel concerts parce qu'ils cherchent des choses précis. Cependant, il faut essayer de rajeunir et montrer aux jeunes qu'un concert classique pour être tout aussi bien qu'un concert de Jay-Z. Dans tous les cas, dans un concert classique, la concentration des musiciens est très importante, il ne faut donc pas déranger, c'est pour quoi "siroter un verre" et prendre des photos sont pour moi des marques de respect envers les musiciens et ne doivent donc pas être consommé pendant un concert classique. Malgré tout, le fait que le chef présente l'œuvre et donne des conseils d'écoute est très intéressant, cela se fait de plus en plus, les écrans géants pour la projection des instruments solistes est très intéressants. Il faut tout simplement concilier respect des musiciens et de l'œuvre avec modernité !

sam 04/04/2020 - 14:08

Je trouve cet article très intéressent. Personnellement, je n'aurais penser à changer le concert classique du tout d'autant plus d'une manière autant radical. Je ne suis pas sûr que j'apprécie les mesures présenté parce que je pense que le concert classique est vraiment différent des autres concerts de musiques populaires, on ne peut pas applaudir tout le temps, pas le droit de filmer le concert et le chef s'adresse très peu souvent au public, mais ces différences sont un des facteurs qui fait que j'aime tant le concert classique. On peut pratiquement sentir qu'il y a une barrière entre l'orchestre et l'audience. Toutefois, je pense que l'auteur de l'article essaie de lever cette barrière en proposant de tel mesures qui si elles sont prises, vont bouleverser le monde de la musique classique. Cependant, les amateurs de musiques classiques vont s'y habituer, car les concerts de musiques classiques ressemblerais à n'importe quel concert de musique populaire. Le but premier du concert classique restera malgré tout de voir des professionnels interpréter des pièces d'un temps lointain avec une précision incroyable.

lun 06/04/2020 - 15:12

Il faut se souvenir qu'il fut un temps où on applaudissait, criait, huait pendant les concerts de musique classique et, surtout, les opéras. Cette idée n'est donc pas en rupture avec la tradition. Certains groupes de musique classique essaient de recréer une ambiance plus interactive pendant les concerts. Un exemple: Collectif 9 (https://www.collectif9.ca/fr) qui présente ses concerts dans des lieux où on présente de la musique pop, et qui cherche à "décoincer" la musique classique.

jeu 09/04/2020 - 13:31

En réponse à par Jérémy Palardy

Wow, toutes des idées qui méritent d'être considérées sérieusement! Je ne crois que toutes s'appliquent à tous les types d'ensembles classiques bien entendu, et, à l'inverse, plusieurs ensembles ont déjà adoptées certaines de ces idées! Même si, selon certains de mes camarades, on met vraiment la dimension "marketing" au centre avec ce genre de mesures, eh bien, ma position ne les rejoint pas complètement, puisque de nouveaux donateurs, par exemple, constituent eux aussi (enfin je l'espère) un public nouveau qui s'ajoute à nos salles de concerts! Quoi de mieux que de jouer devant une salle comble en tant que musiciens et musiciennes! On ne peut pas se mentir, toute organisation qui souhaite monter des productions a besoin d'un compte en banque assez actif.

En ce qui a trait à l'aspect sollicitant l'usage de la technologie, à mon humble avis, je suis plus qu'en accord avec les propos ci-dessus, soient de tâcher de l'inclure davantage dans tous les aspects touchant l'orchestre. En effet, surtout dans la période dans laquelle nous vivons présentement, la technologie reste, pour la plupart des musiciens, un des seuls moyens de conserver un peu de "chaleur humaine" musicalement parlant, avec tous les concerts disponibles en ligne, tous les ensembles qui enregistrent à distance et qui partagent leur musique… Malgré que ce que l'on vit actuellement sera sans doute difficile pour la sphère musicale, je crois que le torrent de musique qui se diffuse aujourd'hui sur les réseaux sociaux ira rejoindre beaucoup de nouvelles personnes! Je crois qu'il sera important de conserver ce "nouveau public" potentiel, je dirais "public virtuel", en continuant de partager autant toute notre belle musique sur les réseaux sociaux même lorsque la crise sera passée! Ce qui vient appuyer, entres autres, l'importance de mettre en place des sites web adaptés à tous les supports mobiles ainsi que l'importance d'enregistrer les concerts, pour se rappeler les bons souvenirs, ainsi que ceux que nous créerons à l'avenir!

mer 08/04/2020 - 18:52

Article très pertinent, voir d'une importance capitale pour des jeunes musiciens qui se lancent dans un tel domaine en 2020. Je suis fortement d'accord qu'on ne doit pas modifier le fond, mais plutôt la forme quand on essaye de rejoindre un nouveau et jeune public. Cependant, je trouve un peu dommage de quitter certains aspects plus traditionnels des concerts classiques. Si ces changements progressifs nous mènent éventuellement à une perte du concert classique comme on le connait aujourd'hui, je crois que la musique classique perdra un élément unique qui la caractérise. Le silence dans la salle et l'absence d'applaudissement entre les mouvements, par exemple, créent une atmosphère unique lorsqu'on interprète une grande oeuvre. Ceci dit, les jeunes d'aujourd'hui ne mordront peut-être pas à l'hameçon si on leur impose une symphonie d'une heure dans le silence!... quoique je croyais qu'on applaudissait pas entre les scènes de films Marvels de 2h30min...

jeu 09/04/2020 - 12:05

Beaucoup de gens pensent que la musique classique se meurt et que les jeunes d'aujourd'hui accordent moins d'importance à cette musique par rapport aux nouvelles musiques plus modernes, pourtant j'en connais beaucoup qui aiment bien écouter de la musique classique, il y en a qui osent même prendre des extrait d'une musique classique pour en faire des arrangements plus modernes, à la base, s'ils n'avaient pas eu un sentiment d'attachement à cette musique là ils n'oseraient même pas d'y penser pour prendre du temps pour en faire des arrangements plus modernes.
Le temps évolue, la technologie avance à grands pas, je pense que c'est à nous de trouver une façon d'utiliser les nouvelles progrès technologiques pour mieux vendre la musique classique et pour ramener les jeunes et tout le monde en particulier que ça pourrait intéressé à participer aux concert plus souvent.

jeu 09/04/2020 - 20:50

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