ven 01/11/2019 - 10:12 Par Maxime Carpentier
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6min.

Je l'avoue, j'ai osé...

Osé m'aventurer dans ce monde glauque et obscur de la « musique en canne ».

Cette fameuse ''royalty free music'' que vous offrent (à grand coup de publicités avant vos vidéos Youtube favoris) des sites tels que Pond5, Shutterstock ou encore Audiojungle et qui a si mauvaise réputation... hé bien devinez quoi : j'en ai composé!

Capture de page web titrée "Day in the life of a commercial musician"

Je l'avoue, j'ai osé...

Osé m'aventurer dans ce monde glauque et obscur de la « musique en canne ».

Cette fameuse ''royalty free music'' que vous offrent (à grand coup de publicités avant vos vidéos Youtube favoris) des sites tels que Pond5, Shutterstock ou encore Audiojungle et qui a si mauvaise réputation... hé bien devinez quoi : j'en ai composé!

Curieux d'en apprendre un peu plus sur ce milieu tabou de la ''stock music'', qu'on aime tant détester, mais dont on ne connait souvent à peu près rien?

Parfait, on y va.
 

Ordinateur sur une table

 

C'est une grosse machine...

Prenez Shutterstock, par exemple.

Le géant new-yorkais de l'image libre de droits fait aussi dans la « musique stock » avec des divisions telles que Shutterstock Music ou encore Premium Beat et rejoint (tous services confondus) un bassin impressionnant de plus de 1.4 millions de clients, actifs dans 150 pays.1

La popularité de ces banques musicales est telle, qu'un compositeur bien établi (ayant à son actif quelques centaines de chansons) peut générer, à lui seul, quelques milliers de dollars US en ventes par jour sur les sites les plus achalandés.

... réglée au quart de tour...

Comme dirait l'autre : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. »

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, sur les sites les plus sérieux, les compositeurs doivent respecter des standards de qualité (surprenamment) élevés et faire approuver leurs pièces par un comité d'experts qui se réserve le droit de refuser toute oeuvre ne respectant pas ces standards.

De plus, lorsqu'un morceau est accepté, l'artiste doit généralement fournir :

  • Une description détaillée de l'œuvre
  • Une liste exhaustive des instruments utilisés
  • Plusieurs versions destinées à des usages divers (versions courtes, ''loops'', ''stems'', variations instrumentales etc.)

... où la créativité est étonnamment la bienvenue...

Incroyable, non? Pourtant, c'est ce que mon expérience m'a appris.

Évidemment, la musique fade et insipide rappelant les info-pubs du mercredi après-midi à TVA aura toujours sa place sur de tels sites. Par contre, pour ceux que cette esthétique formatée n'intéresse pas (et nous sommes plusieurs) il y a aussi énormément de demande pour une musique plus éclatée.

Nous n'avons qu'à penser aux nombreux cinéastes indépendants qui, n'ayant pas nécessairement le budget pour faire composer une musique 100% originale, se tournent vers les banques musicales.

... mais dont la priorité restera toujours le profit.

N'allez pas croire que la mission du distributeur est de vous épauler à tout prix dans votre épanouissement artistique et de financer vos expérimentations farfelues...

Loin de là!

Son but, c'est tout simplement de faire le plus d'argent possible (le plus rapidement possible) en mettant à profit son sens des affaires et votre talent.

Il faut donc être très vigilant pour éviter les abus (car il y en a) et se battre en permanence pour rester rentable, si l'on veut voir notre travail être mis en vedette.

Billet de 20$ américain animé

 

C'est une excellente manière de se faire la main...

Tous ceux qui sont passés par cette « école » de la musique commerciale vous le diront : malgré les difficultés, on en sort avec un bagage impressionnant.

On y apprend, entre autres :

  • À être productif (fini les pièces qui trainent durant des mois et qui vont mourir au cimetière des bonnes intentions... il faut être efficace! Quoi de mieux pour se défaire du syndrome du compositeur perfectionniste?)
  • À sortir de sa zone de confort (malheureusement, je vous l'annonce, publier la même chanson encore et encore en changeant de tonalité et en substituant la mandoline pour du ukulélé, ça ne marche pas. Il faut maîtriser les éléments stylistiques clés d'un très grand nombre de genres musicaux et donner dans la diversité.)
  • À développer son individualité artistique (hé oui! Croyez-le ou non, même sur les sites de « musique en canne », la banalité... ce n'est pas ce qu'il y a de plus vendeur!)
  • À mieux comprendre les rouages de l'industrie (histoire de ne pas trop y perdre au change.)

... de financer des projets moins commerciaux...

Un n'empêche pas l'autre... bien au contraire!

Nombreux sont les interprètes qui enchaînent, sans trop de remords, les spectacles corporatifs et autres prestations à caractère plus « alimentaire » qu'artistique.

Ils vous diront sans doute que c'est ce qui leur permet, bien sûr, d'envoyer leur instrument chez le luthier ou encore d'ajouter quelques saucisses à leur Kraft Dinner quotidien, mais surtout de financer leurs projets plus éclatés,

Pour le compositeur, c'est pareil.

Me croiriez-vous si je vous disais que la plupart des « grands compositeurs » que j'ai rencontrés cachent, derrière leurs grands airs et leurs succès mirobolants, un ou deux sidelines moins grandioses?

...et d'étoffer son réseau.

Il n'est pas rare qu'un producteur ayant acheté plusieurs morceaux d'un même artiste par l'intermédiaire d'une banque musicale finisse par appeler ce compositeur, dont il apprécie déjà la signature sonore, pour la réalisation d'une musique originale.

Bref, la banque musicale finit bien souvent par se transformer en banque de contacts.

Et croyez-le ou non, certains compositeurs de ''stock music'' ont même des fans qui achètent leurs chansons tout simplement pour les écouter dans leurs voitures! Ouf...

Groupe de fans

 

La ''stock music'' n'est pas de la musique de commande.

Bien souvent, les gens ont tendance à mélanger ces deux types de « mercernariat musical», alors qu'au fond, ils sont fondamentalement très différents.

Lorsqu'un artiste compose une musique de commande, il crée une oeuvre destinée en exclusivité à un projet bien précis (une publicité de Saint-Hubert ou la bande-annonce du prochain film de Denis Villeneuve, par exemple) en suivant des balises strictes, établies par le client.

Quant au compositeur de ''stock music'', il ne crée pas en ayant un produit ou encore un client précis en tête. Il compose plutôt, en toute liberté et sans contraintes prédéterminées, des pièces qui se retrouveront dans une banque musicale dans le but d'être vendues à quiconque voudra bien les acheter. Un morceau populaire peut ainsi se retrouver dans une panoplie de projets différents.

D'ailleurs, vous aurez probablement remarqué que plusieurs publicités-télé utilisent exactement la même trame musicale, peu importe qu'il s'agisse de vendre des brosses à dents ou des camions tous-terrains... ce qui soulève évidemment des questions quant à l'impact négatif qu'un tel modèle de vente peut avoir sur la diversité musicale.

Faire un pacte avec le diable ne signifie pas pour autant de perdre sa propriété intellectuelle.

Illustration de deux personnages se serrant la mainContrairement à ce qu'on tente souvent de nous faire croire, l'artiste reste toujours propriétaire des droits d'auteur associés à sa composition.

Ce sont plutôt les droits d'édition qui sont cédés au distributeur, en échange d'une certaine forme de rémunération :

  • Un montant fixe versé à l'artiste au moment de la mise en ligne de l'oeuvre

ou

  • Des redevances sur les revenus générés par la vente de licences d'utilisation de la pièce (variant généralement entre 30% et 50% du prix de vente.)

Ensuite, lorsque l'oeuvre est diffusée à la télévision, à la radio ou dans un film par exemple, les droits d'exécution sont redistribués également entre le compositeur et le distributeur (puisque l'un détient les droits d'auteur et l'autre les droits d'édition, chacun obtient en bout de ligne 50% des redevances liées à la diffusion de la pièce.)

Pas trop mal au cerveau?

Bon, allez, je vous conseille ces deux séries d'articles de la SOCAN qui sauront assurément vous éclairer :

Il n'y en a pas que pour le compositeur pop.

Hé non!

Les artistes bruiteurs, par exemple, y trouvent aussi leur compte grâce à la demande grandissante pour des « effets sonores libres de droits » de qualité.

Pour ce qui est des créateurs préférant la plume au micro, il existe aussi des options (comme Sheetmusicplus) permettant de vendre des partitions originales ou encore des réarrangements de pièces du répertoire et autres succès populaires à un public musicien.
 

Bureau avec ordinateur

 

Alors, qu'en pensez-vous?

La musique commerciale est-elle une forme de « prostitution artistique »?

Serais-ce plutôt un mal nécessaire?

Si un plus grand nombre de compositeurs sérieux et talentueux osaient s'y mettre, aurait-elle meilleure réputation?

Avez-vous déjà pensé tenter l'expérience?


La parole est à vous!

Commentaires

Merci pour l'article. C'est en effet, une avenue qu'il m'arrive d'envisager.
Mais vendre ce type de musique par le biais de quelle entreprise? Devrait-on passer par une entreprise canadienne? Y a-t-il une façon d'avoir un comparatif entre différentes entreprises autrement que par essai et erreurs? Quel est le portrait de cet industrie au Québec?

jeu 26/03/2020 - 16:02

Super article! En apprendre plus sur les contrats musicaux dit "alimentaires" nous permet de voir qu'il n'apportent pas que du mauvais. En effet, étant donné qu'il est très difficile de vivre de la musique, les musiciens et compositeurs ont la plupart du temps besoin de travaux alimentaires, il est donc intéressant de voir que ceux-ci peuvent être complémentaires à l'artiste.

Cependant, comment savoir si l'on en fait trop? Quelle devrait être la limite de temps de travail investie dans le travail alimentaire? Je suis bien conscient que nous n'avons pas toujours le choix, mais consacrer une trop grande partie de son temps à faire des contrats alimentaires, malgré les quelques bienfaits qu'ils peuvent apporter à l'artiste, peuvent le ralentissent dans sa "vraie" carrière, celle qu'il veut vraiment faire et y consacrer son temps et son énergie.

ven 27/03/2020 - 11:37

Oui, j'ai tenté l'expérience et je continuerai pour toujours.
Lorsque j'ai publié quelques compositions sur instagram, j'ai pu élargir mon public (si cela se dit) et cela m'a donné des opportunités monétaires en tant que compositrice.
À l'essentiel, c'est quand même de la musique, car tu peux toujours exprimer notre individualité artistique et nos émotions malgré le genre.
C'est ce qui me passionne le plus au monde, alors si cela m'apporte une rentrée d'argent, cela serait stupide de rester fermé d'esprit.

Personnellement, c'est la seule forme de prostitution que je considère en tant qu'intelligente.

ven 27/03/2020 - 19:15

Il existe toute sorte de possibilités de travail dans cette folle industrie de la musique. Certains contrats apportent beaucoup sur le plan de l'émancipation d'unE musicien.Es, d'autres en revanche sont minimes et ne font qu'aider à payer les factures. Dans ce texte, l'utilisation des termes ''Prostitution'' et ''Pacte avec le diable'' propose un point de vue extrêmement péjoratif sur le type de travail mentionné dans cet article. Notons qu'il s'avère très difficile pour certainEs de réussir à vivre seulement de la musique. Accepter de composer de la p'tite musique facile pour un peu d'argent ici, n'a aucun rapport avec; '' l'Acte par lequel une personne consent habituellement à pratiquer des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d'autres personnes moyennant rémunération."(Larousse, dictionnaire). Cela dit, dans ce texte je crois qu'il s'illustre plutôt une réalité d'un marché ouvert à tous styles de musique qui ne prend pas en considération l'expertise et le professionnalisme de certainEs personnes. Et donc, en sachant cela, dans la ''Stock music'' il m'apparaît plus efficace de mentionner l'idée qu'il faut produire une musique simple et efficace qui requiert peu de passion dans son exécution de création . Cette idée permet au protagoniste en question d'éviter de subir une lourde charge mentale inutile sur ces épaules. La musique de publicité, selon moi, n'a pas besoin d'être un courant de musique révolutionnaire. Je crois qu'il ne sers à rien de puiser dans ses profondes aspirations musicales pour la production de ce type de travail. De plus, je ne crois pas qu'il s'agit de vendre son âme en signant ''un pacte avec le diable'', mais plutôt l'exécution d'une opportunité saisie à travers la navigation d'une panoplie de possibilités de travail, simplement.

mar 07/04/2020 - 16:19

Il est intéressant de voir l'aspect de composition derrière les œuvres «générique» parfois utiliser à la télévision et qu'il a un monde complet polyvalent cacher. Tout le monde cherche une forme de revenu et de nouvelle axe de création dans un domaine particulier. Il ne devrait pas avoir de honte à tester de nouveau horizon et ce permettre de faire de l'argent, peut importe la facilité. Cet article est de plus très instructif pour les personnes comme moi ne connaissant pas bien le monde de la composition et par intérim la différence entre de la musique libre de droit et de la musique que l'on entend à la radio. Une diffusion de masse à la radio ou une pièce libre de présenter en masse, au final cela reviens au même, mais on permet le paiement de compositeur dont l'art pourrait ne pas se vendre sans une forme plus simple de présentation.

mar 07/04/2020 - 18:40
Jérémy Poirier (non vérifié)

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