mar 28/05/2019 - 14:43 Par Patricia Weber
6min.

J'adore l'opéra. C'est vrai, je suis une vraie férue du genre. Mon vendredi soir, je le passe normalement en pyjama à écouter le dernier DVD d'opéra de production funky (genre Così fan Tutte dans une mise en scène peace and love ou la version filmée de The Medium produite par Menotti lui-même) que j'ai pu dénicher à la Grande Bibliothèque de Montréal. Ainsi, à l'approche de la rentrée de l'Opéra de Montréal, je suis certainement la première à prendre un fameux abonnement pour les 30 ans et moins

Salle de concert

Note: ce billet a d'abord été publié sur le site metier-musicien.org le 7 octobre 2016. Reproduit avec la permission de l'auteur.

J'adore l'opéra. C'est vrai, je suis une vraie férue du genre. Mon vendredi soir, je le passe normalement en pyjama à écouter le dernier DVD d'opéra de production funky (genre Così fan Tutte dans une mise en scène peace and love ou la version filmée de The Medium produite par Menotti lui-même) que j'ai pu dénicher à la Grande Bibliothèque de Montréal. Ainsi, à l'approche de la rentrée de l'Opéra de Montréal, je suis certainement la première à prendre un fameux abonnement pour les 30 ans et moins

Une soirée typique à l'OdeM pour une 30 ans et moins

À l'entrée de la salle Wilfrid-Pelletier, je tiens toujours mon billet avidement, sachant qu'il s'agit du salaire entier d'une des messes à laquelle j'ai chantée un beau dimanche, jeune étudiante en chant classique que je suis. À l'enjambement des première dalles de marbre, c'est toujours la même stupéfaction : des trentenaires, des cinquantenaires et... des beaucoup plus vieux. Une fois que j'ai reussi à frayer mon chemin à travers cette marée étourdissante, c'est le début de l'ascension à laquelle est destinée chaque 30 ans et moins ainsi que les ''chanceux'' qui se sont dégotés un billet de dernière minute à 20$. Un escalier roulant et deux escaliers plus tard, on arrive enfin à une situation qui s'apparente à une vraie fontaine de jouvence. Au balcon, comme à la mezzanine ou à la corbeille, on retrouve la vingtaine dans toute sa vitalité. J'ai le temps de reconnaître certains chanteurs de McGill, d'intercepter certains amis de l'UdeM, jusqu'à temps que nos joyeux bavardages soient interrompus par le fameux signal sonore. Je trouve mon siège, je m'y assois et l'orchestre débute son prélude... Et c'est là que débute mon propre questionnement quant à ma présence en ce lieu. 

En ce moment, je suis très loin de la scène et aussi très haute. Le rideau s'ouvre. Le décor est splendide, somptueux, immense. Le ténor débute son air mais je ne peux pas voir quel sentiment habite son visage. Le choeur fait son entrée fabuleuse. On n'entend pas très bien la soprano à travers la densité de l'orchestre. Il doit y avoir, au total, près d'une centaine de chanteurs et de figurants plantés là sur scène. Tout ce beau monde parlera de guerre entre l'Ethiopie et l'Égypte et de sentiments patriotiques pour un bon 2h30. Bien sûr, il y a l'histoire d'amour tragique... à laquelle on ne croit jamais. Néanmoins, il y a bien quelques fois où on est épaté : un soldat allume une vraie torche avec du vrai feu sur scène Ohhh! La grande prêtresse se met à chanter son seul air avec une beauté vocale intelligible et émouvante. Parfois aussi, on se laisse simplement bercer par le décor et par les magnifiques mélodies de Verdi... 

Cette soirée à l'Opéra de Montréal je l'aie connue trop souvent et je sais très bien qu'elle se reproduira. En tant que spectactrice dans la vingtaine, je fais face à plusieurs questions lorsque je parcours les longs salons de l'OdeM: Mais où est ma place? En quoi suis-je supposée me reconnaître? Pourquoi je fais l'effort de me déplacer dans un univers si mondain et si oppressant, alors que je pourrais écouter Aïda avec Placido Domingo sur youtube, en pyjama, un vendredi soir? Pourquoi j'irais pas plutôt au cinéma un samedi après-midi pour assister à l'une de ces fantastiques diffusion du MET avec certaines des plus grandes voix du moment? J'inviterai certainement ma coloc qui veut découvrir l'opéra à aller voir la prochaine production de La Bohème et il sera aisé de convaincre mes amis qui adorent Pink Floyd d'aller voir l'intéressante production de Another Brick In The Wall mais je n'aurai jamais invité ces amis à aller voir Aïda.

En fait, quel est le problème? Pourquoi ça clique si difficilement entre les 30 et moins et l'OdeM?

J'ai quelques réponses.

On aimerait du répertoire plus diversifié!

On est une génération très curieuse, très avide de nouveauté, et on a des goûts incroyablement diversifiés. Grâce à des plateformes telles que Spotify, Itunes Music ou encore Deezer, on est branché à tout ce qui se crée comme musique dans le monde, et on actualise constamment nos découvertes. On est aussi une génération très sensibilisée aux enjeux de notre présent et on aime, plus que tout, être interpellé par un sujet qui rejoint notre actualité. Ainsi, pour les plus novices d'entre nous qui font leurs premiers pas dans le monde de l'opéra, certaines oeuvres du XIXième siècle nous apparaissent comme superficiels parce qu'elles rejoignent simplement mal notre propre réalité. Pourquoi ne pas plutôt mettre à l'affiche un ou deux opéras du XXième siècle qui ont eu un grand succès à leur création mais qui ont été ensuite enterrés sous le constant remaniment des mêmes opéras connus? J'aurais invité mon cercle d'amis au complet à cette incroyable production de The Trials of Patricia Isasa de Chants Libres.

On adorerait être plus près du spectacle!

Laissez-nous voir le visage des interprètes et avoir la même expérience sensorielle et sonore que ceux qui ont 150$ à débourser pour un siège dans les premiers rangs du parterre. À Zurich, on paye 20 CHF lorsqu'on est étudiant pour avoir une place d'où on entend le chef respirer et je vous jure que c'était rempli de jeunes étudiants très excités devant leur première expérience à l'opéra.

C'est trop cher!

On boit notre café dans un bocal, on est vegan, on magasine notre linge au Village des Valeurs et on recherche constamment où sont vendus les produits d'ici. Le lien entre toutes ces sources de consommation? Ça coûte moins cher! Pour le prix d'une bonne place pour un 30 ans et moins à l'OdeM on peut: Aller voire 4 films au cinéma (6 si on est des habitués du mardi!), voir 2 diffusions du MET dans un Cineplex, aller voir 6 concerts de styles variés au Café Résonance ou encore être abonné pendant 5 mois à Netflix et rester chez nous à écouter une quantité incroyable de films et de séries. Ce n'est pas la diversité qui manque dans notre grande métropole! En plus, j'épargne toutes les petites compagnies effervescentes qui montent des opérettes et tous les divers évènements de musique classique qui ont lieu à travers Montréal. Si j'allais à toutes les invitations facebook que je reçois, je ne fournirais pas dans mes devoirs pour le cours Métier du Musicien!

'' L'opéra c'est snob ''

... est un préjugé encore bien répandu! Malheureusement, votre image de marque, cher OdeM, ne peut guère nous faire penser autrement. Qu'est-ce qu'on pense réellement de votre publicité de Don Giovanni? : Mon dieu, ça a pas l'air le fun... Dans un autre sens, avez-vous vu l'amusante publicité d'ouverture de saison de l'Orchestre de Chambre de McGill avec Natalie Choquette? Ou encore le vidéoclip tout feu tout flamme de Cecilia Bartoli et de Philipe Jaroussky qui ravive la musique baroque à notre ère ? Ou la touchante campagne In War & Peace: Harmony Through Music de Joyce Didonato pour son nouvel album d'airs baroque ? Une image de marque un peu plus vivifiante et plus claire pourrait certainement nous attirer davantage!

Bref, lorsqu'on franchit le pas de Wilfrid-Pelletier, en tant que 30 ans et moins, on se sent un peu mal-aimé, pas vraiment invité ni souhaité. On a plutôt l'impression de déranger et d'être des intrus dans votre bain mondain. On a l'impression que vous vivez toujours au XIXième siècle et on vous trouve plutôt frileux. Ainsi, pour nous, votre programme pour les 30 ans et moins sonne plutôt faux. Il nous semble être un beau pansement pour un problème bien plus grand, une sorte de façon de nous amadouer et de nous apaiser pour éviter notre grogne. C'est peut-être une façon de vous sentir un peu mieux pour notre absence. Au moins, on leur offre un programme ''juste'' pour eux...  Pourtant, il y aurait tellement plus à faire! Néanmoins, on ne pense pas pour autant que vous soyez malintentionnés. Le problème, c'est juste que vous ne nous connaissez pas vraiment. 

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