lun 02/11/2020 - 11:23 Par Robert Leroux
4min.

Ivan Fischer identifie trois dangers importants qui menacent la survie de l’orchestre symphonique comme forme d’art.

Photo de Ivan Fischer

Photo: Sonia Werner

Premier de deux articles.

Ivan Fischer est un chef d’orchestre d’origine hongroise qui a fondé en 1983 le Budapest Festival Orchestra.

Dans un entretien récent, donné le 8 juillet dernier dans le cadre des séminaires du Hanns Eisler Institute à Berlin (voir vidéo plus bas), Fischer se demande si les orchestres symphoniques sont une espèce en danger. M’étant intéressé à la question de l’orchestre symphonique comme débouché réel pour les diplomés en musique dans un billet récent, j’ai pensé que les réflexions de Fischer auraient leur pertinence dans le cadre d’Entrepren’arts.

Je considère que c'est une forme d'art en danger et je pense qu'elle doit se réformer si elle ne veut pas être simplement anéantie par l'histoire

Fischer identifie trois dangers importants qui menacent la survie de l’orchestre symphonique comme forme d’art.

Le premier de ces dangers serait l’accroissement du volume sonore, lié à l’évolution de la facture des instruments. Sans élaborer sur cet enjeu particulier car moins près des préoccupation d'Entrepren'arts, disons simplement que, toujours selon Fischer, la hausse graduelle du volume général des orchestres entraînerait non seulement des déséquilibres (balance voix-orchestres par exemple) mais aussi des considérations de santé au travail.

Le second danger qui apparait plus important encore selon Fischer est celui du répertoire. Toujours selon le chef d’orchestre, le standard de l’effectif orchestral aujourd’hui est construit à partir d’un répertoire limité à une période d'environ 200 ans d’histoire, soit plus ou moins de Haydn à un peu avant Messiaen.

Sauf exception, on laisse la musique baroque aux ensembles spécialisés, qui utilisent ou non des instruments d’époque, les musiques de création aux ensembles à géométrie variable qui leur sont dédiés, sans parler des musiques folkloriques, du monde, etc.

Or, Fischer observe que le menu d’écoute des nouvelles générations d’auditeurs est beaucoup plus varié en termes de langages musicaux, de styles ou de périodes historiques. Ainsi, on peut trouver aujourd'hui dans les listes d'écoute tout autant du Machaut, de la musique balinaise, des musiques numériques, du folklore argentin que des oeuvres de Strauss ou de Mahler.

Ce que nos orchestres présentent est un segment étroit de répertoire et ne reflète pas le langage musical de notre génération. Et cela deviendra pire. Nos enfants et petits-enfants se sentiront de plus en plus éloignés des générations pour lesquelles le répertoire d'un orchestre symphonique était la norme. (...) Je pense donc que se concentrer sur ce segment étroit de répertoire est un deuxième danger.

Le troisième danger est un sujet plus controversé. De son aveu, Fischer précise qu’il repose davantage sur ses réflexions personnelles que sur des faits observables. Il s’agit du manque de créativité au sein des orchestres symphoniques.

Les jeunes musiciens sont formés dans de bonnes écoles, auprès de professeurs qui les aident non seulement à apprendre à bien jouer leur instrument mais aussi à développer leur personnalité et leur individualité. Leur milieu d’apprentissage s’intéresse tout autant à leurs habilités musicales qu’à leur personne dans son intégralité.

Une fois formés, ces musiciens joignent les rangs des orchestres symphoniques et à partir de ce moment, on ne fait systématiquement plus appel à leur créativité, surtout dans les sections de cordes qui constituent le plus grand groupe de musiciens. On ne leur demande que de suivre les instructions du chef d’orchestre, du concertmaster ou du chef de leur section tout en respectant les règles et coutumes de l’orchestre au meilleur de leurs connaissances.

Personne ne fait appel à leur créativité. Jamais on leur demande quels sont leurs intérêts, quelles idées ils et elles ont sur la musique, comment ils et elles pourraient contribuer à innover au sein de l’orchestre. Leur contribution se limite à une tâche à accomplir.

Cette situation peut s’expliquer, en partie, par le fait que l’organisation et le fonctionnement des orchestres ont historiquement été construits dans un monde beaucoup plus hiérarchisé qu’aujourd’hui. La grande majorité des musiciens n’est pas sollicitée, engagée ou même concernée par l’évolution de l’orchestre. Ceci peut être cause de frustrations.

Je pense donc que c'est un troisième enjeu qui met en danger l'orchestre symphonique. Et je vois que ces enjeux doivent être abordées, car s’ils ne le sont pas, l’institution risque simplement de disparaître de la carte.

Cette situation est d’autant plus exacerbée en cette époque de crise sanitaire, alors que des manifestations culturelles à 100 musiciens sur scène et 2000 personnes dans la salle sont totalement exclues. Or, selon Fischer, le public peut se passer de concerts symphoniques. On veut sauver l’économie, le transport aérien, etc., mais peu d’efforts seront comparativement investis pour sauvegarder les orchestres symphoniques.

Prochain article: des pistes de solution

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