ven 05/06/2020 - 13:47 Par Valérie Arsenault
4min.

Les musiciens et artistes aujourd'hui sont de véritables entrepreneurs, afin de pouvoir survivre à la compétition du marché, et de véritables athlètes, afin de maintenir l'endurance physique et psychologique nécessaire à la performance sur scène. Pourtant, ils sont trop souvent laissés à eux-mêmes, sans formation adéquate aux réalités entrepreneuriales, sans soutien psychologique qui coûte trop cher pour la plupart d'entre eux, sans entraîneur, sans filet de sécurité sociale.

Musiciens sur scène

La précarité des artistes-pigistes était déjà préoccupante avant le cataclysme actuel qui bouleverse le milieu des arts de la scène. Elle devient insoutenable en temps de crise et plusieurs travailleurs du milieu culturel ne pourront tenir le coup sans une prolongation des mesures d'aide financière d'urgence déployée ce printemps par l'entremise de la PCU.

Outre cette mesure temporaire, il est grand temps de développer un véritable projet politique. C'est l'occasion et le momentum idéal pour réinventer non pas la culture, comme on l'entend trop souvent dernièrement avec le sous-entendu du grand virage numérique, mais bien pour réinventer les politiques culturelles qui pourront soutenir et propulser cette force brute que sont nos artistes au sein de la société.

En tant que musicienne classique, pigiste, enseignante et directrice artistique, je suis amenée quotidiennement à prendre en plus de mes responsabilités les chapeaux de comptable, responsable des communications, agente de presse, rédactrice, adjointe administrative, etc. Je passe des centaines d'heures par année à simplement "gérer" ma carrière musicale, sans compter les milliers d'heures d'entraînement à la pratique instrumentale nécessaire. Nécessaire pour maintenir mon jeu au plus haut niveau possible afin de satisfaire les exigences des nombreuses performances hebdomadaires au sein de plusieurs orchestres et ensembles de grande réputation.

Chaque semaine j'apprends du nouveau répertoire, je change de lieu de travail, je vérifie et revérifie mes horaires de répétitions qui changent constamment, je me contraint à une discipline militaire, j'encaisse les critiques parce que le coup d'archet peut toujours être "meilleur" et je subis trop souvent l'anxiété de certains collègues qui deviennent parfois durs dans cet univers exigeant. Je travaille les soirs et les week-ends quand tout le monde profite des terrasses, j'enfile ma robe de concert et le sourire même quand la fatigue physique et psychologique se fait sentir, je travaille à un rythme effréné, sans congé maladie, sans assurances, sans chômage quand le travail se fait plus rare...

Je suis discriminée quand je cherche un appartement parce que le violon ça dérange, je suis discriminée quand je cherche un prêt hypothécaire parce que "les artistes on le sait bien c'est précaire"... Je suis discriminée parce que je n'ai pas une "vraie job" et que de toute façon je suis chanceuse puisque je fais "ce que j'aime"...

Les musiciens et artistes aujourd'hui sont de véritables entrepreneurs, afin de pouvoir survivre à la compétition du marché, et de véritables athlètes, afin de maintenir l'endurance physique et psychologique nécessaire à la performance sur scène. Pourtant, ils sont trop souvent laissés à eux-mêmes, sans formation adéquate aux réalités entrepreneuriales, sans soutien psychologique qui coûte trop cher pour la plupart d'entre eux, sans entraîneur, sans filet de sécurité sociale.

Le parcours de l'artiste est un véritable don de soi, à la société, mué non seulement par une passion personnelle, mais par le désir du plus grand que, du plus beau que, du plus fort ensemble, du partage et de la connexion humaine. Mué par des valeurs du vivre ensemble, par ce désir de faire naître l'émotion et d'offrir un espace de rencontre entre lui et le spectateur riche de sens, de découverte de soi, d'introspection et de perspective. Mué par ce désir de faire du bien, d'apaiser les esprits, de réconforter les âmes.

J'ai personnellement choisi de bifurquer lentement mais sûrement vers un mode de vie plus stable et moins précaire, en choisissant d'accepter un travail d'administration. Je n'arrivais plus à soutenir le mode de vie étrennant de musicienne pigiste et je sentais que je ne m'épanouissais plus en raison de la compétition constante et des conditions de travail précaires. J'ai toujours été dévouée corps et âme à la culture, mais je me sens lentement dévorée par un monde qui semble de moins en moins vouloir soutenir ses artistes, un monde qui ne leur permet plus d'offrir leurs services à la société sans couler eux-mêmes. Un grand nombre de mes collègues musiciens, comédiens et danseurs choisissent dans leur trentaine de quitter le bateau, pour trouver une vie plus confortable, plus saine. Ce sont des artistes exceptionnels, et je pense toujours à toute la beauté de leur talent dispersé et décimé pour des raisons économiques.

Ceux qui restent, qui s'accrochent, qui persévèrent, qui continuent jour après jour de maintenir le rythme, ceux que vous voyez sur les planches au théâtre, dans les rangs des orchestres ou sur toute scène professionnelle, sont de véritables combattants qui font preuve d'un courage et d'une résilience remarquable. Ils méritent toute notre admiration, mais surtout, ils méritent un projet politique viable pour leur permettre de continuer leur métier dans des conditions acceptables, et leur permettre de continuer à prendre soins de l'âme de la société.

Est-ce que vous nous entendez?

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